Dernier ouvrage que Gibran acheva avant de mourir, The Wanderer (Le Pérégrin) parut posthumement le 8 janvier 1932. Il s’agit, sur le plan structurel et stylistique, d’une sorte de suite à The Madman (1918, Le Fol) et à The Forerunner (1920, Le Précurseur), parus l’un et l’autre avant The Prophet (1923, Le Prophète), son chef-d’œuvre absolu. Il s’agit, sous l’angle narratif, d’un point final à cette longue série de brefs récits et de poèmes en prose, série entamée dans ses deux premiers ouvrages en langue anglaise.
Avant de boucler ce cycle, Gibran donnera au monde Jesus the Son of Man (1928, Jésus le Fils de l’Homme) et The Earth Gods (1931, Les Dieux de la Terre). En 1933, Barbara Young, la secrétaire littéraire de Gibran, achèvera The Garden of the Prophet (Le Jardin du Prophète), la suite de son chef-d’œuvre, texte auquel il travaillait encore la veille de son décès.
L'ouvrage Le Pérégrin, le dernier que Khalil Gibran acheva avant de mourir, est publié par Le Livre en Papier à Strépy-Bracquegnies en Belgique. Pour le commander, consultez la page qui lui est consacrée. Le point de vente et de présentation de l'ouvrage est Le Livre en Papier. Il est également disponible chez l'auteur.
J'ignore si Louis Aragon (1897-1982) était fou d'Elsa Triolet (1896-1970), mais je sais que l'œuvre qui porte le prénom de sa muse reflète son immense engagement intellectuel pour s'approprier l'histoire, la culture et la spiritualité du monde arabe, et pour comprendre sa relation emblématique au monde chrétien et à la modernité. Et, de fait, Le Fou d'Elsa (1963) comprend une généreuse dimension humaniste et reste, de nos jours encore, un recueil de poèmes d'une extraordinaire actualité. Aragon y développe un système de valeurs propice à la coexistence respectueuse et enrichissante des civilisations. On y trouve, à deux reprises, cette maxime : « L'avenir de l'homme est la femme », qui, après une inversion de l'ordre des mots, deviendra le titre d'une célèbre chanson de Jean Ferrat (1930‑2010).
Dans mon long cheminement intellectuel, entre le Levant et le Ponant, j'ai croisé plusieurs autres fous de l'art, de la littérature et de l'érudition qui ont fait de la création et de l'écriture une passion de vie, que dis-je ?, un sacerdoce. Il se trouve que mes plus proches ont eu en commun un amour pour Khalil Gibran, mon prestigieux compatriote. Une relation quasi charnelle qui rappelle celle entretenue jadis entre Michel de Montaigne (1533-1592) et Étienne de La Boétie (1530-1563). La phrase la plus célèbre du premier, et celle qui vient le plus volontiers à l'esprit lorsqu'on évoque l'amitié la plus fulgurante qui le lia au second : « parce que c'était lui ; parce que c'était moi1 », avant que celui-ci ne meure prématurément, non sans avoir eu une vision prémonitoire de ce succès posthume, en écrivant à son ami, dans un long poème en latin : « Si le destin le veut, la postérité, sois-en sûr / Portera nos deux noms sur la liste des amis célèbres. »
Les amis de Gibran, eux, sont devenus des compagnons de route, pour certains des adeptes, des disciples, pour d'autres des traducteurs, pour quelques-uns des érudits qui continuent depuis un siècle de décortiquer son œuvre, de l'expliquer sous tous ses aspects, philosophiques, linguistiques et poétiques, pour en extirper ce qu'elle recèle de meilleur comme nous conseille François Rabelais (1483-1553) dans le prologue de son Gargantua (1534) : « C'est pourquoi il faut ouvrir le livre et soigneusement peser ce qui y est déduit. [...] Puis, par curieuse leçon et méditation fréquente, rompre l'os et sucer la substantifique moelle.2 » Ces passionnés de Gibran ont pour noms Suheil Bushrui, May Rihani, Henri Zoghaib, Jean‑Pierre Dahdah, Boutros Hallaq, Francesco Medici, Glenn Kalem‑Habib, Alexandre Najjar, et j'en oublie.
Philippe Maryssael, lui, est un singulier fou de Gibran. Un linguiste terminologue belge connu et reconnu qui, à l'heure de la retraite, trouve que le temps est venu pour lui de se consacrer à la passion qu'il avait nourrie depuis son adolescence pour les écrits du grand Libanais qui deviendra avec le temps son sujet favori, sa principale occupation des jours et des nuits, à laquelle il revient sans cesse, son dada selon la définition qu'en donne Honoré de Balzac (1799-1850) dans Autre étude de femme (1842) : « Un homme qui n'a pas de dada ignore tout le parti qu'on peut tirer de la vie. Un dada est le milieu précis entre la passion et la monomanie. »
C'est dire avec quelle passion Philippe a collectionné les éditions originales des ouvrages gibraniens écrits en langue anglaise, les comparant aux nombreuses traductions françaises et s'attelant à réaliser une œuvre de longue haleine : publier (en une traduction personnelle) l'intégralité de l'œuvre du Libanais en anglais, dans des versions bilingues, enrichies d'analyses et de notes approfondies et éclairantes. Une démarche redoutable et éprouvante qui décourage plus d'un. J'avoue, à ma honte, que je suis moi-même resté sceptique avant d'accepter de doter sa traduction du Prophète d'une longue préface, en 2020. A posteriori, je reconnais que Philippe a gagné son pari, dois-je dire son défi ?, avec brio.
L'infatigable Bruxellois poursuit son petit bonhomme de chemin et égrène les titres, tel un chapelet, jusqu'à plus soif : Le Fol (The Madman, 1918), Le Sable et l'Écume (Sand and Foam, 1926), Le Prophète (The Prophet, 1923), Le Précurseur (The Forerunner, 1920) et, tout récemment, Le Jardin du Prophète (The Garden of the Prophet, 1933).
Son dernier bébé, Le Pérégrin (The Wanderer, 1932), que j'ai le plaisir et l'avantage de présenter au lecteur, est le premier ouvrage posthume de Khalil Gibran. Il boucle le cycle des paraboles, poèmes et adages entamé avec Le Fol et Le Précurseur. Mais le téméraire Philippe ambitionne de traduire en français l'intégralité des ouvrages que le Libanais écrivit en anglais : sur sa table de travail l'attendent encore Jésus le Fils de l'Homme (Jesus the Son of Man, 1928), Les Dieux de la Terre (The Earth Gods, 1931), ainsi que deux courtes pièces de théâtre méconnues, Lazare et sa Bien-Aimée (Lazarus and His Beloved, 1973) et L'Aveugle (The Blind, 1982).
Inchallah !
Ami Philippe, merci de continuer de creuser de nouveaux sillons dans le jardin fleuri de Gibran, pour pérenniser l'immortalité de mon illustre compatriote et pour nourrir le bonheur de ses nombreux lecteurs à travers la planète.
Abdallah Naaman, Neuilly-sur-Seine, novembre 2023
1 « [...] par ce que c'eſtoit luy, par ce que c'eſtoit moy. » — Entre 1588 et 1592, année de sa mort, Montaigne travaille à une nouvelle édition de ses Essais. Pour ce faire, il utilise un exemplaire non relié de la dernière édition en date, celle de 1588, et commence à y apporter corrections et additions. Les modifications les plus caractéristiques qu'apporte Montaigne à son livre sont ce qu'il appelle les « allongeails », de conséquents développements de certaines parties du texte. Il accroît ainsi son œuvre d'un tiers en ajoutant notamment un grand nombre de nouvelles citations. Le plus célèbre ajout est celui qui se trouve au verso du feuillet 71. Il concerne La Boétie. Montaigne complète la phrase imprimée ainsi : « si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu'en répondant : parce que c'était lui, parce que c'était moi. » (D'après l'article intitulé Comment Montaigne écrivait ses Essais : l'Exemplaire de Bordeaux, publié le 6 juillet 2016 par Nicolas Barbey sur le Blog Gallica à l'adresse https://gallica.bnf.fr/blog/06072016/comment-montaigne-ecrivait-ses-essais-lexemplaire-de-bordeaux)
2 « C'eſt pourquoy fault ouurir le liure : et ſoigneuſement peſer ce qui y eſt deduict. [...] Puis par curieuſe leczon, & meditation frequente rompre l'os, & sugcer la ſubſtantificque mouelle. » — Extrait du Prologue de l'auteur, dans la première édition de Gargantua chez François Juste, à Lyon en 1534 (consultable sur le site de la bibliothèque nationale de France à l'adresse https://gallica.bnf.fr/).