Victor Lefèvre (1822-1904)
Fables de La Fontaine interprétées par Coco Lulu (1898)
Un des derniers descendants des illustres Marolliens de 1830, j'ai nommé COCO LULU, se rappelant que j'avais écrit un avant-propos pour ses chansons d'antan, m’a demandé de lui rédiger une préface pour son interprétation de quelques Fables de La Fontaine.
N'ayant rien à lui refuser, j'ai promis ; mais j'hésite, parce que je crains de n’être pas à la hauteur de ma tâche. Certes, nul plus que moi ne rend justice à ses éminentes qualités d'écrivain populaire ; nul mieux que moi n'a su apprécier la vérité des caractères qu'il burina il y a cinquante ans, parce qu'ayant eu l'honneur de faire sa connaissance, de le voir dans son milieu du quartier des Minimes, je me suis rendu compte de la justesse et de la profondeur de ses observations ; mais ma sympathie pour cet aimable chansonnier peut déteindre sur mes appréciations et obscurcir mon esprit critique.
Toutefois, je crois être impartial en plaçant Coco Lulu au premier rang des poètes belges, non que sa poésie soit idéale, mais elle renferme l'expression des plus nobles sentiments ; elle exhale la gaieté la plus communicative, elle est emprunte de la plus impeccable morale, et cela dans une forme que Mme de Sévigné eût probablement désavouée, mais qui sort des entrailles mêmes du peuple distingué des Marolles, avant la création du Palais de Justice de Polelaert, un de mes amis presqu'aussi célèbre que l'auteur de Pitje Lamin.
Peut-être trouvera-t-on que le besoin d'une nouvelle production dans la gracieuse langue de la Rue des Vers ne se faisait pas généralement sentir.
Je répondrai à cela que la Belgique ne peut qu'applaudir à l'apparition d'une page de plus de ce patois qui fut admiré par Victor Hugo, lequel disait à qui voulait l'entendre que : « El' Favritt' och la cell' qu'est l'premier' de les bonn' amies de les Rois » (1) était un chef-d'oeuvre, digne de Shakespeare.
Sans doute, l'académie des Belles-Lettres y regarderait à deux fois avant d'admettre Coco Lulu dans son sein. Cela est regrettable ; c'est une gloire nationale de moins dans la docte assemblée, dont quelques-uns de ses membres ont maintes fois fredonné ses dontjes.
Je termine en exprimant l'espoir que le public sérieux accueillera favorablement le chant du cygne de mon intime ami Coco Lulu.
VICTOR LEFÈVRE.
Villa des Glycines, 3 septembre 1898.
(1) Parodie de La Favorite, opéra de Donizetti.
El Sprinkoût (1) et l' Formi
A Aleski Ermel.
El' sprinkoût qu'avait chanté
Tout l'entier été,
Quans' qu'il avait sentit l' froidure
Faisait un' triste figure.
Plus un' betje à manger
Plus un' pôuver' pétit' mouche...
Il a si tell'ment faim, c'est vrai, qu'y régard' louche
Et dit : « Ço doit sanger !... »
Alours y va chez l'formi, sa voisine.
- « Prêtez-moi quéqu' chose, y dit...
- » Sur quoi, sprinkoût ? - Beh ! sur m' bonn' mine
» Jusqu'à l'April fait' moi crédit.
» Pour douz' pétits morceaux je t'en rendrai cinquante. »
Oué mo, quans' qu'ell' voit ce Kalante (2),
Formi pense en ell' mêm' : « Crédit est mort.
» Su l' s'main' dernière
» Les môuvais payeurs y l'avont mis dans l' terre... »
Là d'sus ell' sers' son cabas bien fort,
Et dit : « Sprinkoût, dans vot' folie
» Quois'que tu faisais à l' bon temps ?
- « El jour, el soir à les passants
» Je chantais : O bel ange, ma Lucie !... »
- « Ah ! ah ! tu chantais mon p'tit coeur ?
» Habien, fait' des flikkers (3) à c't'heur'... »
(1) La cigale / (2) Client / (3) Entrechats.